Focus Collections
Judit Reigl et Mwangi Hutter
Les collections des Abattoirs regroupent environ 3 880 œuvres. Elles se constituent à mesure des acquisitions annuelles, des dons et des dépôts. Véritable matière vivante, elles sont l’objet de relectures et de redécouvertes, se prêtant selon les projets aux regards des artistes, des professionnels et du public. Elles sont présentées régulièrement au fil des expositions sur le site des Abattoirs ainsi que dans la région Occitanie.
Ce ”Focus Collections” met en avant des artistes de deux générations qui, au-delà de leurs différences, ont en commun de s’intéresser au socle de nos identités, qu’il soit culturel, corporel ou qu’il réside dans le dépassement des formes attendues de l’art (abstraction contre figuration, dualité plutôt qu’individualité).
Mwangi Hutter
Les Abattoirs présentent deux nouvelles acquisitions du duo d’artistes Mwangi Hutter. Le travail d’Ingrid Mwangi (Nairobi, Kenya, 1975) et Robert Hutter (Ludwigshafen, Allemagne, 1964) est fusionnel, à tel point que les deux artistes ont combiné leurs noms de famille et leurs biographies pour ne devenir qu’un seul artiste.
À travers leur propre expérience de la dualité, naviguant entre deux corps, féminin et masculin et deux cultures, européennes et africaines, Mwangi Hutter donne à s’interroger sur la condition humaine et cherche à dépasser les différences. Leur travail prend la forme de vidéos, performances, photographies, peintures ou encore installations, dans lesquels le corps occupe une place centrale. Leurs œuvres évoquent ces notions d’altérité et d’identité, dans une approche à la fois personnelle et politique. Le triptyque photographique Fence est issu de la performance The Cage réalisée à Johannesburg (Afrique du Sud) en 2009. Derrière une clôture, Robert Hutter y découpe ses vêtements et se rase les cheveux, produisant des morceaux de lui-même. L’artiste les troque contre son corps nu, offert au public comme une toile d’écriture et d’expression libre. Par la présence de cette frontière métallique, ces images présentent l’espace public et la question des inégalités sociales dans un contexte marqué par la discrimination et les violences raciales. « En se confrontant à nos propres limites corporelles, nous affirmons que le politique est personnel et l’intervention individuelle est porteuse de changement social et politique. » La performance dans l’espace public est un moyen de produire un engagement direct avec le public que Mwangi Hutter oppose à leur recherche plus introspective comme ici avec l’œuvre Roar of Unspoken voices. Issue de la série Embracing, cette peinture est une évocation sublime de l’amour et de la puissance des corps. La figure féminine enlace et soutient son partenaire, soulignant par l’usage de la peinture et ce jeu du noir et du blanc que l’identité est une construction.
Judit Reigl
Les Abattoirs rendent hommage à Judit Reigl (1923, Kapuvár, Hongrie - 2020, Marcoussis, France) et présentent trois œuvres majeures du Fonds de dotation Judit Reigl en dépôt aux Abattoirs. Cet ensemble est représentatif du travail de Judit Reigl, entre abstraction et figuration.
Après des études à l’Académie des Beaux-Arts de Budapest, Judit Reigl fuit clandestinement la Hongrie alors sous le joug du stalinisme. Elle arrive en France en 1950. Elle est intégrée par l’écrivain André Breton au groupe des surréalistes comme son compatriote artiste Simon Hantaï. Malgré la séduction qu’exercent pour elle l’écriture automatique et l’iconographie onirique, elle se détache rapidement de ce courant artistique. Elle s’oriente alors vers une peinture exaltant le geste, traduction des mouvements du corps et de l’esprit. Dans les années 1950 et 1960, elle travaille simultanément sur plusieurs séries : Éclatement (1955-1958), Centre de dominance (1958-1959), Écriture en masse (1959-1965) ou Expérience d’apesanteur (1965-1966). Ses œuvres ne se situent pas dans un développement linéaire et chronologique. Les séries s’engendrent et se chevauchent car les toiles considérées sont reprises, retravaillées, ou recouvertes. Avec les Écritures en masse, l’artiste fait un usage exclusif du noir et blanc, le fond et les bords de la toile restant le plus souvent vierges. Elle utilise une lame qui lui permet de ponctuer l’espace de larges taches qu’elle racle ensuite du bas vers le haut avec une barre d’acier souple. Après cette période, Judit Reigl revient peu à peu à la représentation du corps avec la série Homme (1966-1972), choisissant de ne jamais plus avoir à choisir entre abstraction et figuration. Un épais trait noir, souvent associé à une couleur, laisse apparaître des torses, le plus souvent masculins, qui recouvrent presque entièrement la toile. Cette présence du corps se retrouve dans l’œuvre New York issue d’une série produite entre 2001 et 2002. Réalisée suite aux attentats du 11 septembre 2001 à New York contre les tours du World Trade Center, un évènement qui bouleverse l’artiste, cette œuvre montre la sensibilité de Judit Reigl à la réalité de son époque. L’iconographie de l’événement fait écho au motif du corps en chute libre déjà présent dans le travail de l’artiste, et également à la place fondamentale du corps dans le processus créatif de ses œuvres qui résultent d’un réel engagement physique de l’artiste avec la toile du tableau.